Matfrid d'Orléans apparait aux alentours de l'année 815, dans l'entourage de Louis le Pieux, alors empereur d'Occident depuis quelques années seulement.
Son ascendance est strictement inconnue et les historiens n'ont pas fait d'hypothèse au sujet de ses ancêtres. En revanche, nous savons qu'il est parent d'Hugues de Tours, dit le Méfiant ou le Peureux.
Sa carrière semble se diviser en plusieurs parties :
- Il est un fidèle de Louis le Pieux entre 815 et 828 et reçoit le comté d'Orléans avant 818. Il a dirigé l'abbaye de Meug sur Loire ;
- Il est évincé du conseil de l'empereur et condamné à mort à la suite de l'expédition ratée à Barcelone en 828 ;
- Il se ralie à Lothaire, fils de Louis le Pieux et devient un des chefs de la conjuration qui cherche à évincer l'empereur au profit de son fils ainé ;
- Lothaire est exilé en Italie en 834 ; Matfrid et ses complices Hugues de Tours et Lambert de Nantes le suivent.
Personnage relativement mystérieux, intriguant et cupide, Matfrid d'Orléans n'a pas fait l'objet d'études très poussées sauf de la part de Philippe Depreux à qui nous empruntons la plus grosse partie des informatons présentes dans cet article.
Quelle famille pour Matfrid d'Orléans :
Nous n'avons aucune information sur la famille de Matfrid d'Orléans. Nous savons seulement :
- Qu'il était parent avec Hugues de Tours ;
- Qu'une de ses filles nommée Engeltrude a épousé Boson, comte en Italie : Reginon nomme Engildrudam quoque uxorem quondam Bosonis comitis quand il raconte son excommunication en 866 après qu'elle ait délaissée son mari au profit de Wangerum suum vassallum ;
- Matfrid II est probablement son fils bien que sur le site "Foundation of Medieval Genealogie", il ne soit que son neveu.
Il est vraisemblable qu'Hugues et Matfrid soient originaires de régions voisines. La famille du comte de Tours, descandante des Etichonides, est originaire d'Alsace. Quant à Matfrid, certains indices datant de la génération postérieure permettent de supposer qu'il était originaire de l'Eifel en Allemagne (P Depreux).
Toutefois, ce même auteur signale un fait qui, éventuellement, peut nous mettre sur une autre piste : un ancêtre du comte d'Orléans ne possédait-il pas des biens en Argonne ? En effet, en 790, un certain Dodon fait donation à l'abbaye de Gorze de res meas proprias in pago Stadunense, in loco qui dicitur Madafrido curte, super fluviolum Tuvo, vel in ipsa fine Stovense (Armand d'Herbomez, Cartulaire de l'abbaye de Gorze).
Les deux seuls prénoms usuels de cette famille sur lesquels nous pouvons nous appuyer sont Engeltrude porté par la fille de Matfrid et Ava/Aba porté par la femme d'Hugues de Tours, probable soeur de Matfrid. Remarquons que ces deux anthroponymes sont présents dans la parentèle des Girardides dont on peut voir dans le tableau ci-dessus qu'elle est déjà liée à celle des Matfrid. En effet, une fille de Girard de Paris se nomme Engeltrude et une de ses petites-filles, enfant de Girard de Roussillon, se prénomme Eve.
Matfrid fidèle de Louis le Pieux :
Matfrid joue un rôle important à la cour du roi Louis le Pieux sans qu'on puisse définir exactement sa fonction.
En 815, Suggerente atque petente Madefiido, fideli nostro, Louis le Pieux confirme au comte Hartmann la possession en précaire des biens qu'il avait donnés à l'abbaye de Gorze du temps de l'abbé Optarius alors que le nouvel abbé, Magulf, voulait casser cet accord. En effet, après que Hartmann ait présenté sa requête, l'empereur, captato fidelium nostrorum consilio, accepte d'exaucer la demande et ordonne pro petitione Madefridi, fidelis nostri, ac ceterorum l'expédition du diplôme.
Le 4 juin 817 à Aix-la-Chapelle, Louis le Pieux donne un diplôme en faveur de l'abbaye de Saint-Gall, dont l'abbé est alors Gauzbert, par lequel la jouissance du cens de quarante-sept manses sis en Alémanie sont retirées aux comtes de la région au profit du monastère, cette disposition ne remettant pas en cause les redevances dues au fisc. Les mentions tironiennes de ce diplôme nous apprennent que Matfridus ambasciavit.
Matfrid est mentionné en 821 dans un acte en faveur de l'abbaye de Saint-Gall, pour la restitution d'une villa autrefois donnée au monastère et ensuite confisquée au profit du fisc de Zurich : Gundulfus Fridugisi jubente subscripsit,
Hildoinus et Matfridus ambasciaverunt et magister sigillari jussit.
Dans un diplôme donné en 823 à Francfort, Louis le Pieux, par l'intermédiaire de Matfrid, confirme l'échange conclu entre l'évêque de Strasbourg, Bernold, et le comte Erchenger : Magister scribere jussit et dictavit, Matfredus ambasciavit.
Matfrid accompagne Louis le Pieux lors de sa première expédition en Bretagne, à l'automne 824. Il dirige même une des trois armées franques, officiellement conduite par le fils homonyme de l'empereur, Louis le Germanique. Lambert de Nantes est à la tête d'une autre.
En 826, le Danois Harald (Herioldus) se rend auprès de Louis le Pieux à Ingelheim, où il est baptisé. C'est à Matfrid que l'empereur ordonne d'aller à la rencontre du Danois et de l'accueillir, une fois ce dernier débarqué à Mayence. Ermold le Noir nous a dépeint le cortège impérial quand, après la cérémonie baptismale, il entre dans l'église pour la célébration de la messe. Louis le Pieux est accompagné de Hilduin, son archichapelain, et de Hélisachar. Suivent Lothaire et le prince danois. Puis s'avance Judith, qu'escortent Matfrid et Hugues, le comte de Tours.
Comme nombre d'autres Grands, Matfrid est attesté dans le rôle de missus dominicus. Suite à une requête de
Lambert de Nantes concernant la restitution à l'abbaye de Hornbach de biens usurpés sous Charlemagne par Y actor dominicus du fisc de Francfort, Louis le Pieux ordonnne à son fils Lothaire et à Matfrid de procéder à une enquête qui n'aboutit pas.
La Vita Hludowici Imperatoris nomme Hugonem et Mathfridum comites comme missus de Pépin, roi d'Aquitaine en 827, mais dénonce leur échec dans leur mission à Barcelone et Girone.
En fait, ces deux personnages apparaissent ligués contre l'impératrice Judith dont l'influence ne cesse de grandir et qui pousse son mari, Louis le Pieux, à assurer un royaume à son fils Charles. En 827, le Goth Aizo s'échappe d'Aix-la-Chapelle et soulève les autochtones de la Marche d'Espagne contre l'autorité franque. Les musulmans de la péninsule ibérique sont appelés à la rescousse par les rebelles. Louis le Pieux riposte alors en envoyant trois missi : l'abbé Hélisachar, ancien responsable de sa chancellerie, ainsi que les comtes Hildebrand et Donat. Hélisachar et ses compagnons semblent avoir été investis d'une mission d'administration et de pacification.
Le comte Bernard doit, seul, défendre sa cité de Barcelone. Ce n'est qu'après l'annonce de l'arrivée de renforts sarrasins que Louis le Pieux dépêche une armée commandée par le roi Pépin d'Aquitaine et les comtes de Tours et d'Orléans. Or cette armée arrive trop tard pour éviter le pillage de l'arrière-pays.
Lors du plaid tenu en février 828 à Aix-la-Chapelle, dans un contexte politique et diplomatique particulièrement tendu, les deux légats préposés à la conduite des renforts francs sont jugés — peut-être de manière assez expéditive — et privés de leurs honores.
Nous ne savons pas si c'est volontairement qu'Hugues et Matfrid n'ont pas porté secours à Bernard de Septimanie (même si l'incompétence de Matfrid est reconnue) ou si l'évènement est un prétexte pour évincer deux opposants au régime de l'empereur. Lothaire, Hugues et Matfrid sont liés par des liens de parentés qui peuvent expliquer la prise de position des deux derniers en faveur du premier.
Dans la mouvance de Lothaire :
Le tournant de la carrière de Matfrid se situe en 829, à la suite de la décision de Louis le Pieux de forger un royaume à son dernier fils, le futur Charles le Chauve. Lothaire, fils ainé de l'empereur s'oppose naturellement à cette mesure qui ne lui est pas favorable. Lothaire, en dépit de ses ambitions, est un médiocre qui laisse jouer un rôle de premier plan à ses conseillers. Dans son entourage, nous retrouvons Matfrid qui se vante d'être son homme de confiance, Hugues de Tours son beau-père et l'abbé de Corbie Wala (Riché p153).
Cette année là, Louis le Pieux, probablement poussé par sa seconde épouse Judith, envoie Lothaire en Italie. Bernard de Septimanie, appelé auprès de l'empereur, se débarasse de Lothaire et de ses amis.
En avril de l'année suivante, les ennemis de l'empereur, qui n'ont cessé de comploter, se soulèvent et Bernard de Septimanie est obligé de s'enfuir. Lothaire tient son père en liberté surveillé et Louis est obligé de réhabiliter ses anciens connseillers dont Hugues et Matfrid.
En octobre 830, Louis parvient, par d'habiles manoeuvres, à reprendre le pouvoir et Lothaire n'a d'autres solutions que de se soumettre. Les conjurés, partisans de Lothaire, parmi lesquels est compté Matfrid, sont arrêtés, jugés à Aix en février 831 et condamnés à mort mais aussitôt graciés par l'empereur. Un peu plus tard, leur biens personnels leur sont même rendus...
En 832, exilé en Francie Orientale, Matfrid incite Louis le Germanique à se révolter contre son père en lui promettant une aide qui ne vint pas.
On ignore quel rôle l'ancien comte d'Orléans a joué dans la déposition de Louis le Pieux en 833, mais Nithard affirme qu'il fut au nombre de ceux qui, sous le gouvernement de Lothaire, « briguaient le second rang dans l'empire ». L'auteur des Annales Bertiniani le considère comme l'un des Hlotharii complices ; celui des Annales Xantenses va jusqu'à en faire, certainement à bon droit, l'un des principes Lotharii consules.
Lothaire, qui entend gouverner l'empire, s'en remet à Hugues, Lambert et Matfrid mais ces trois conseillers recherchent le profit personnel et négligent les affaires de l'état.
Un nouveau revirement de situation intervient en 834. La zizanie qui s'est glissée dans les rangs des princes a favorisé la restauration de Louis le Pieux à Saint-Denis le 1er février 834. Louis et Pépin, deux des fils de Louis le Pieux, ne se résolvent pas à se placer sous le joug de leur frère ainé et, d'autre part, l'arrogance des chefs du parti victorieux heurte l'ensemble du monde carolingien.
Lothaire, qui a fui dans le Midi, est resté insoumis, et ses partisans de l'Ouest, groupés sous les ordres de Lambert et de l'ancien comte d'Orléans Matfrid, s'arment et l'invitent à les rejoindre. L'armée qui est lancée contre eux dans la Marche de Bretagne est conduite au désastre par les dissensions de ses chefs, et la plupart de ceux-ci, le nouveau comte d'Orléans Eudes, beau-frère du sénéchal Adalhard, et son frère Guillaume le Connétable, comte de Blois, Gui du Mans, Vivien de Tours, et quantité d'autres grands personnages perdent leur vie dans cette bataille. Cette sanglante victoire de Lambert et de Matfrid reste sans lendemain.
Finalement, Lothaire, assisté de Matfrid, est obligé de se soumettre à son père à la fin de l'été.
Matfrid suit Lothaire en Italie. On ignore tout de sa nouvelle situation, si ce n'est qu'il reçoit vraisemblablement de Lothaire la valteline
Matfrid est mort en 836 d'une épidémie qui touche nombre de Grands réfugiés en Italie.
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Bibliographie :
Le comte Matfrid d'Orléans 1994 Philippe Depreux dans bibliothèque de l'école des Chartes
Les Ethiconides aux temps carolingiens et ottoniens Christian Wilsdorf
Foundation of medieval genealogy
Famille et pouvoir dans le monde franc 2003 Régine le Jan
Marche de Bretagne, ses marquis et ses comtes L Levillain dans Annales de Bretagne. Tome 58, numéro 1, 1951. pp. 89-117.
En marge du divorce de Lothaire II: Boson de Vienne, le cocu qui fut fait roi ? François Bougard
Les Carolingiens : une famille qui fit l'Europe 1983 Pierre Riché